MONTRÉAL — Après 20 combats professionnels et la conquête de deux titres mondiaux chez les super-mi-moyennes, Marie-Ève Dicaire, qui a pavé la voie à toute une génération de boxeuses québécoises, a choisi de mettre un terme à sa carrière.
L’athlète de 36 ans en a fait l’annonce à la Place Ville-Marie, mercredi, entourée de toute son équipe et des membres de sa famille.
«Après avoir raté de nombreux anniversaires et partys de famille, il est temps de redonner du temps aux gens qui mont appuyée toutes ces années», a laissé tomber très sereinement celle qui épousera dans les prochains mois son conjoint des dernières années.
Dicaire a découvert les sports de combat par le karaté. Ceinture noire 5e dan, elle a été cinq fois championne du monde de la discipline. En voyant les femmes boxer pour la première fois aux Olympiques à Londres, en 2012, elle souhaite y participer.
«Ça a été l’élément déclencheur de ma carrière. Mon ami avec qui je regardais ça m’a dit que j’avais le choix entre le taekwondo ou la boxe, les deux seuls sports de combat au Programme olympique. J’ai choisi la boxe.»
Un choix qui s’avérera judicieux: Dicaire a remporté 18 de ses 20 combats professionnels et a été deux fois la reine des super-mi-moyennes de l’International Boxing Federation (IBF).
Elle est devenue championne du monde une première fois le 1er décembre 2018, défaisant par décision unanime Chris Namus au Centre Vidéotron, devenant ainsi la première Québécoise à mettre la main sur un titre mondial.
La boxeuse de Terrebonne a défendu cette ceinture trois fois en 2019: face à Mikaela Lauren, Maria Lindberg et Ogleidis Suarez. Puis, la pandémie de COVID-19 a frappé, freinant du même coup l’élan de la championne.
Un duel d’unification contre Claressa Shields, alors détentrice des ceintures des trois autres organismes de sanction, a été reporté plus de 10 fois avant de finalement avoir lieu en mars 2021, à Flint, dans le Michigan, château-fort de l’Américaine. Dicaire a tout donné dans ce combat, mais la double médaillée d’or olympique a unifié les titres à la suite d’une performance sans tache, remportant tous les rounds dans l’oeil des trois juges.
À peine neuf mois plus tard, Dicaire a eu la chance de récupérer la ceinture de l’IBF, Shields l’ayant abandonnée pour aller unifier les titres chez les moyennes. La boxeuse de Terrebonne a alors repris son titre de brillante façon, passant le K.-O. à Cynthia Lozano au septième round en plein Centre Bell.
Puis, Dicaire a eu l’occasion, en novembre 2022, de réussir un autre grand coup quand Groupe Yvon Michel et Matchroom Boxing se sont entendus pour un combat d’unification à Manchester, en Angleterre, face à Natasha Jones, détentrice des ceintures du World Boxing Council (WBC) et de la World Boxing Organization (WBO). De nouveau, l’unification des titres a toutefois échappé à Dicaire, qui s’est inclinée par décision unanime.
Déjà, avant ce combat, des rumeurs circulaient à l’effet qu’il soit le dernier de la carrière de la Québécoise. Dicaire l’a confirmé mercredi: gagne ou perd, il allait être son dernier tour de piste.
«Je voulais vivre pour une dernière fois un camp d’entraînement avec mes ‘boys’, a-t-elle dit. Je voulais pour une dernière fois que ce soit nous contre le reste du monde.»
Elle admet toutefois, près de quatre mois plus tard, qu’elle a hésité à trancher.
«Pendant longtemps, j’arrivais à la maison et je regardais les classements, qui ont beaucoup bougé. Chaque fois qu’une ouverture se créait, nous en discutions et j’hésitais. Mais je suis en paix avec ma décision. Je ne suis plus dans une zone grise. Je sais qu’il n’y aura pas de retour en arrière et que je ne reviendrai pas en arrière, mais jusqu’à la mi-février, ça me démangeait encore.»
Son promoteur, Yvon Michel, assure d’ailleurs qu’il a reçu des offres pour sa boxeuse jusqu’à tout récemment.
Une pionnière
La carrière de Dicaire en boxe professionnelle s’est amorcée le 20 novembre 2015 par une victoire par décision unanime contre Christina Barry, la première de 17 victoires consécutives. Elle a pris fin après 18 victoires — une par K.-O. — contre deux revers. Mais si elle peut sembler banale en 2023, en 2015, des boxeuses professionnelles au Québec, il n’y en avait pas.
«Les femmes ont participé aux Jeux olympiques pour la première fois en 2012. On ne sentait pas encore un essor de la boxe féminine sur la scène internationale, mais on entendait des murmures», s’est rappelé Yvon Michel, son promoteur.
«J’ai toujours été proche de l’équipe nationale et à cette époque, c’étaient en raison de ses boxeuses qu’elle faisait ses frais: ce sont les boxeuses qui gagnaient sur la scène internationale et qui permettaient à Boxe Canada d’obtenir son financement, a poursuivi Michel. L’ère des Jean Pascal et Adonis Stevenson était révolue, c’étaient maintenant les Kim Clavel, Ariane Fortin, Mandy Bujold, Caroline Veyre et Mary Spencer qui étaient de véritables dynamos sur la scène internationale. Je sentais une tendance et je ne voulais pas qu’on soit à la remorque. Mais à cette époque, personne chez les filles ne pensaient à passer chez les pros, car elles ne pouvaient pas y gagner leur vie.
«Quand Samuel (Décarie, un des entraîneurs de Dicaire) est venue me l’a présentée, (…) je savais qui elle était, mais je ne la connaissais pas. J’ai été emballé. Je me suis si dis que si on devait commencer avec une fille, c’était Marie-Ève qu’il nous fallait. Pour elle, elle n’avait pas de limite. Elle était prête à payer le prix, faire ce qu’il fallait pour apprendre son métier et monter dans les classements.»
Selon lui, l’héritage de Dicaire est d’ailleurs de laisser une boxe féminine en grande santé.
«Il y a Kim Clavel, Marie-Pier Houle — qui se battra en championnat du monde le 22 avril, à Cardiff —, Mary Spencer, Leïla Beaudoin et Caroline Veyre, qui ne pensait jamais passer chez les pros et qui gagne maintenant sa vie avec ça.
«Marie-Pier devait se battre au Casino de Montréal le 20 avril prochain, mais elle s’en va maintenant en championnat du monde. Nous avons donc dû refaire la carte et à un moment donné, on s’est rendu compte qu’on n’avait pas de fille. On s’est dit qu’on ne pouvait pas faire un événement sans fille, ça manquerait.
«Quand Marie-Ève est arrivée, certains boxeurs se demandaient: ‘Pourquoi elle prend notre place?’. Maintenant, les boxeurs sont fiers d’être sur la même carte que Marie-Ève Dicaire. Tout le monde veut une place sur le prochain gala de Kim Clavel. S’il n’y avait pas eu Marie-Ève, nous ne serions pas à ce niveau-là.»