Le changement climatique modifie le visage de l’alpinisme canadien

Bob Weber, La Presse Canadienne
Le changement climatique modifie le visage de l’alpinisme canadien

Des chercheurs de l’Université de Calgary ont utilisé un siècle de données provenant du journal d’un refuge de montagne historique pour mettre en lumière la façon dont le changement climatique modifie le visage de l’alpinisme canadien.

La doctorante en géographie Kate Hanly a passé au peigne fin près d’un siècle de données du refuge du Col-Abbot dans le parc national Banff, qui a été fermé en 2018 après que la glace sur laquelle elle reposait a fondu.

La chercheuse a constaté que les entrées sur les risques liés aux chutes de pierres ont considérablement augmenté au fil des ans, à mesure que les températures se réchauffent et font fondre la glace qui maintient les pentes en place.

Les champs de neige que les grimpeurs utilisaient pour accéder aux sommets emblématiques ont disparu, remplacés par de la glace et des éboulis rocheux.

Les guides de montagne font écho à ses conclusions, affirmant que les itinéraires familiers changent, deviennent plus dangereux ou tout simplement ont disparu.

L’article de Mme Hanly examine un peu plus de six mille rapports de voyage laissés par des alpinistes remontant jusqu’à 1923. Il a été publié dans la revue «Climatic Change».

Le refuge du Col-Abbot s’est dressé pendant des décennies entre deux sommets emblématiques, surplombant le turquoise limpide du lac Louise, dans le parc national Banff, une destination prisée des alpinistes du monde entier jusqu’à ce que le sol fonde sous lui et force sa fermeture.

«Il y a effectivement eu des commentaires sur l’impact du changement climatique sur les Rocheuses canadiennes et de nombreux visiteurs de refuges ont exprimé leur tristesse et leur inquiétude à ce sujet», écrit Mme Hanly.

«Le changement climatique contribue à modifier les conditions d’alpinisme dans les Rocheuses canadiennes», affirme-t-elle dans un courriel.

Un constat que partagent aussi les guides de montagne.

«Les itinéraires classiques ont changé», déclare Paul Vidalin, guide depuis 25 ans et président de l’Association canadienne des guides de montagne. «Par endroits, la glace a disparu et il ne reste plus que de la roche pourrie. Ce qui était autrefois de belles pistes de ski sur glacier est maintenant vraiment crevassé.»

James Gudjonson, vice-président du Club alpin du Canada, guide les grimpeurs et les skieurs depuis 30 ans.

«C’est vraiment décourageant, témoigne-il. On sait que beaucoup (d’itinéraires) ont disparu ou disparaissent lentement et qu’ils ne reviendront pas.»

Un siècle de changements

L’article de Mme Hanly croise 6283 rapports de voyage laissés par les alpinistes dans le journal du refuge du Col-Abbot avec ceux d’une base de données d’alpinistes moderne. Ils s’étalent donc sur plus d’un siècle, allant de 1923 à 2024.

Les premières entrées décrivent des pentes fiables couvertes d’une neige ferme menant vers des sommets renommés tels que le mont Lefroy et le mont Victoria.

Mais en 2017, tous les grimpeurs du mont Lefroy ont signalé de la glace exposée et des roches à moitié nues et instables. Cinq pour cent des grimpeurs du mont Victoria ont signalé des roches nues dans les années 50, tandis qu’ils étaient plus de la moitié à faire cette remarque entre 2013 et 2022.

Cette roche représente bien plus qu’un simple appui instable. À mesure que la glace qui le maintient en place fond, il s’effondre.

Sur une route menant à Abbot – utilisée depuis le début du siècle dernier – aucun éboulement dangereux n’a été signalé au cours des 50 premières années du journal de bord de la cabane. Au cours de la dernière décennie, les trois quarts des groupes d’escalade l’ont mentionné. Les résultats étaient similaires pour un autre itinéraire menant au refuge.

«Le chemin droit typique était une zone de guerre avec des chutes de pierres et de nombreux accidents évités de peu», signale une entrée de 2009.

Un phénomène général

Les menaces ne se limitent pas au Col-Abbot, explique Christoph Dietzfelbinger, guide depuis les années 1980 dans la chaîne côtière de la Colombie-Britannique.

«Sur le mont Edziza, l’accès à la crête sommitale était autrefois une simple pente de neige, explique-t-il dans un courriel. Maintenant, c’est une pente de glace d’eau noire de 30 à 70 m de haut qui nécessite un équipement d’escalade de glace complet.»

Dans la chaîne des Bugaboos, au sud de Golden, en Colombie-Britannique, un col populaire situé dans ce qui peut être considéré comme la zone d’escalade la plus célèbre du Canada devient de plus en plus inaccessible à mesure qu’il perd de la neige.

«Ça va finir par devenir un endroit où l’on ne va plus, déclare M. Gudjonson. C’était le point d’accès à des dizaines de routes.»

D’autres dangers augmentent également. La diminution du manteau neigeux et la fonte accrue modifient la forme et l’angle des glaciers, les rendant plus sujets aux avalanches. Les ponts de neige permettant aux alpinistes de traverser les crevasses en toute sécurité sont fragilisés.

M. Gudjonson a constaté ce phénomène sur le champ de glace Wapta, une destination populaire de ski de randonnée sur glacier à haute altitude entre Banff et Jasper, en Alberta.

«Il n’y a tout simplement pas de neige parce qu’il y a tellement de pluie et des températures chaudes, dit-il. Vous n’avez pas un bon pont de neige.»

«En été, tout va bien: vous pouvez voir la glace. Mais le vrai problème, c’est le manteau neigeux plus fin en hiver.»

De plus, les régions qui connaissent habituellement des manteaux de neige profonds et stables connaissent désormais d’importantes chutes de neige suivies de longues sécheresses, parfois ponctuées de pluie ou de dégel. Cela crée des couches de neige et rend l’évaluation des avalanches encore plus difficile.

«C’est plus irrégulier, plus extrême, explique M. Vidalin. Il semble y avoir plus de couches problématiques (dans la neige), plus de variabilité, plus de complexité.»

Le changement climatique réduit toutefois certains dangers. Par exemple, Mme Hanly affirme que le manteau neigeux plus mince a rétréci les corniches qui surplombaient la crête sud-est du mont Victoria, rendant les déplacements plus rapides et plus faciles.

De nouveaux itinéraires peuvent ainsi s’ouvrir à mesure que les guides s’adaptent.

«La seule constante dans l’activité de guide est le changement, écrit Mme Hanly par courriel. Je ne pense pas que nous risquions de perdre la culture de l’alpinisme dans ce pays (du moins pour le moment), mais je suis presque sûr qu’elle continuera à évoluer.»

Des conséquences économiques existent cependant, ajoute Mme Hanly.

«Le temps chaud et sec de janvier a tellement réduit les possibilités d’escalade sur glace que certains guides n’ont pas eu de travail. Dans les Rocheuses canadiennes et particulièrement dans la Vallée-de-la-Bow, où il y a tant de guides, le changement climatique pourrait avoir un impact important sur l’industrie avec des effets en cascade sur l’industrie du tourisme et de l’hôtellerie.»

M. Gudjonson évoque l’industrie qui s’est développée autour du ski de randonnée et de l’alpinisme. «Que va-t-il arriver aux opérateurs commerciaux?» demande-t-il.

Mais ce n’est pas sa principale préoccupation. La fermeture en 2018 du refuge du Col-Abbot hante les grimpeurs et les randonneurs, dit-il.

«Nous avons 100 ans d’histoire et quelque chose qui est ancré dans la culture de la communauté montagnarde. On perd ces lieux historiques pour toujours.»

Les guides en parlent tout le temps, explique M. Dietzfelbinger.

«Il y a quelque chose qu’on appelle à juste titre le deuil écologique, écrit-il. Un paysage qui m’a été cher et qui a nourri de nombreuses expériences est irrémédiablement transformé.»

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